Bonjour!
Je me suis demandé si j’allais vraiment mettre ce texte sur le blogue. Il fait peut-être un peu (beaucoup) hors sujet…
Et puis je me suis rappelée que la parentalité est un défi de tous les instants, où il arrive que le parent soit excédé par le comportement d’un enfant ou du/de la partenaire de vie. Or, la plupart du temps, il s’agit d’une incompréhension de la réalité de l’autre. Nous partons souvent du principe que notre réalité est universelle et partagée par tous. Que cela va de soi. Mais il n’en est rien… Vraiment rien.
Dans ce petit « Hors Sujet », je vous livre le texte que j’ai écrit pour la journée d’étude 2018 de l’Association Simonne Ramain Internationale, ayant pour thème « Réalité et image de soi ».
Vous êtes prêt(e)… c’est parti!
« Bonjour à tous, je suis honorée de pouvoir vous présenter aujourd’hui ma réalité sur la réalité.
Le sens premier, de la réalité, est ce qui relève de l’expérience que chacun éprouve : c’est concret, immédiat, palpable et indéniable. En un sens c’est subi, car la réalité est à l’état brut et ne peut être changée : quand on a le bras cassé, on peut feindre de l’ignorer, mais cela ne recollera pas l’os. La réalité revêt donc un caractère immuable, permanent, ce que Kant appelle « l’objectivité ».
Pourtant…
Cette image est très connue dans le milieu de l’art graphique. En effet, la case A et la case B ont la même teinte.
Qui, dans cette image, voit une jeune femme ?
Qui y voit une vieille dame ?
En fonction de ce que les uns et les autres ont perçu de cette image, leur réalité n’a pas forcément été la même que celle de leurs voisins ou voisines. Pourtant l’image observée est la même, tout comme avec l’échiquier, où notre œil perçoit deux couleurs différentes là où n’y en a qu’une.
Aujourd’hui, je vais vous parler de la manière dont la réalité se forme pour nous Êtres humains. Je vais partir d’un point de vue très biologique et physiologique. J’en profiterai, rapidement, pour voir si, de ce point de vue, notre réalité est la même que nos compatriotes animaux.
Puis, je verrai si l’espèce humaine, forte d’une biologie unique, évolue dans une réalité commune. Et pour finir, je focaliserai mon propos sur la réalité que vit chaque individu qui, elle au moins, devrait être stable et sans surprise…
1. La perception de la réalité du point de vue physiologique
Traitement de l’information par le cerveau:
Chez l’être humain, la réalité se manifeste de manière sensorielle. C’est grâce à nos 5 sens, mais également à d’autres perceptions sensorielles comme la proprioception (la capacité à situer dans l’espace la position des différentes parties de son corps) ou la somesthésie (qui permet entre autres de détecter la chaleur interne de notre corps) que nous percevons le monde dans lequel nous évoluons.
Rôles des sens dans la perception de la réalité :
Nos organes des sens sont très performants, mais notre corps n’est pas équipé pour percevoir toutes les stimulations qui font notre monde. Ainsi, nous n’entendons pas les ultrasons qui permettent à d’autres espèces de communiquer, comme les dauphins. Comparés à un chien, nous n’avons une représentation du monde des odeurs que très parcellaire et notre réalité visuelle n’a pas la richesse de celle de l’aigle ou du faucon.
Cela suppose que, bien que vivant dans un même espace régi par les mêmes lois naturelles, nous n’avons pas la même réalité que le dauphin, le chien ou l’aigle.
LEUR réalité est donc très différente de NOTRE réalité.
La capacité de traitement du cerveau :
À cette première particularité, la sensibilité limitée de nos organes transmetteurs d’informations, s’ajoute le fonctionnement même du cerveau.
L’ensemble des informations sensorielles captées sont transmises au cerveau sous forme de courants électriques. Ces milliers de stimulations électriques sont ensuite traités par le cerveau qui les transforme en informations concrètes. Au cours de ce processus, le cerveau a, en gros, trois options :
- Ne pas tenir compte de l’information et « l’effacer », c’est comme si cette information n’avait jamais existé.
- Tenir compte de l’information et la transformer en information consciente (par exemple, « je sens qu’il fait chaud »).
- Tenir compte de l’information, mais la « stocker » en tant qu’information inconsciente, il est alors plus difficile d’y accéder même si elle peut influencer notre comportement.
Donner du sens :
Une autre composante est nécessaire pour donner du sens aux informations qui arrivent à notre conscience : la référence, que l’on peut aussi appeler « expérience ».
En effet, pour que le cerveau puisse transformer un influx électrique en information concrète, il faut qu’il ait déjà identifié, dans le passé, le cas de figure qui se présente à lui et qu’il l’ait mis en mémoire.
Par exemple, tant que nous n’avons pas appris à lire, nos yeux envoient un signal électrique au cerveau pour lui signifier ce qu’ils voient, mais le cerveau ne peut identifier les lettres comme porteuses d’un message compréhensible. Nous voyons alors les lettres comme des formes, même si nous savons qu’elles peuvent avoir une signification ; dans notre réalité de non-lecteur, il ne s’agit que de dessins.
La conférence « Optimisme et réalité » peut vous donner des pistes pour considérer votre réalité différemment.
2. Différence de réalité entre les êtres humains
Nous avons vu que, de par notre physiologie, nous n’avions pas la même perception du monde qui nous entoure et donc pas la même réalité, que d’autres êtres vivant sur terre. Mais, est-ce qu’au sein même de notre espèce, notre perception de la réalité est identique d’un individu à l’autre ?
Quand l’information captée n’est pas la même :
Dans notre culture, il est communément accepté que la vérité des uns n’est pas celle des autres. Cela se retrouve dans différents proverbes comme « la beauté est subjective ». Nous reconnaissons, pas toujours facilement d’ailleurs, qu’une personne puisse ne pas trouver beau une chose qui nous touche profondément. Cela suppose notamment que ce qui fait référence dans notre réalité n’est pas identique d’un individu à l’autre ; il est possible et même probable que les couleurs ne soient pas vues de la même manière par tous. Cette différence de perception pourrait d’ailleurs expliquer les différences d’émotion que deux personnes pourraient ressentir face, par exemple, à une même peinture.
Les sons, qui façonnent notre réalité, peuvent aussi varier d’une personne à l’autre. Une mère entendra son enfant pleurer alors qu’une autre personne se trouvant au même endroit ne l’entendra pas. Dans la réalité de l’une, son enfant a besoin d’elle, dans la réalité de l’autre, l’enfant peut ne même pas exister. Ainsi, LA réalité est la même pour les deux personnes, mais chacune va créer UNE réalité qui lui est propre, en fonction des informations qu’elle reçoit et de la manière dont elle les traite.
Quand l’émotion brouille nos perceptions :
De même qu’un capteur sensoriel, spécifique à un individu, va envoyer de manière personnalisée une information, l’émotion dans laquelle notre cerveau se trouve au moment du traitement de l’information intervient dans l’interprétation qu’il va en faire. C’est comme si notre cerveau teintait d’une couleur différente une même image selon son état émotionnel.
En prenant un exemple extrême, une personne dite bipolaire, en phase dépressive, va trouver le monde déprimant et tout événement sera un obstacle insurmontable. Alors que la même personne trouvera ce même événement merveilleux et tout sera considéré comme facile quand elle sera dans une phase maniaque.
Quand l’expérience « traductrice » de l’information n’est pas la même :
Tout comme les capteurs ou l’humeur peuvent varier d’un individu à l’autre, l’expérience qui sert à traduire, pour transformer le signal électrique en sens que va donner le cerveau à la stimulation, peut être très différente en fonctions des personnes :
» Une de mes professeurs de faculté était allée dans un pays où un tremblement de terre avait provoqué beaucoup de pertes humaines et donc des traumatismes psychologiques. Son travail sur place consistait à former des gens du pays au traitement de ces traumatismes. Ce jour-là, elle se trouvait dans un préfabriqué, au milieu d’un chantier de déblaiement de décombres, avec quatre ou cinq personnes à qui elle transmettait sa méthode de travail. À un moment, un grand bruit se fait entendre et le préfabriqué se met à trembler. Les personnes du pays se jettent sous les tables pensant à une nouvelle secousse de la terre, l’enseignante reste stoïque, pensant à un camion qui aurait percuté le préfabriqué. »
Une même situation provoque deux interprétations différentes, c’est-à-dire deux réalités différentes, car le cerveau des personnes présentes n’avait pas vécu les mêmes expériences.
Ainsi, le monde qui nous entoure peut-être sensoriellement et émotionnellement interprété très différemment d’une personne à l’autre. Et bien que nous en soyons conscients, cela n’empêche pas certaines tensions entre les gens, pouvant aller du différent de couple : « Je te dis que ce canapé irait très bien dans le salon, le rouge ferait ressortir le vert des murs. », au conflit éducatif : « Je te dis que c’est très bon, mange » en passant par le différend culturel « Il se mouche, c’est dégoûtant » (au Japon, il est vraiment malpoli de se moucher en public).
3. Quand notre réalité change
Nous avons vu que notre réalité était différente de la réalité d’autres espèces. Nous avons ensuite vu comment notre réalité pouvait différer de celle de notre voisin. Maintenant, j’aimerais voir si nous pouvons, au moins, affirmer que notre réalité propre est invariable.
Quand l’information change :
Nous savons maintenant que notre réalité est construite par un savant mélange de sensations et d’interprétations. Mais que se passe-t-il, quand les informations, qui servent de base à notre interprétation, ne sont plus valables, alors que la réalité, elle ne change pas ?
» Dans mon ancien appartement, j’avais un chat. Comme tous les chats, la nuit, il ne dormait pas. Il sautait sur les meubles, courait d’un endroit à l’autre. Bref, il faisait du bruit. Cela m’empêchait de dormir et je le réprimandais souvent. Un jour, il n’y a plus eu de chat. En toute logique, les nuits auraient dû être plus calmes. Sauf qu’à l’occasion de la première nuit sans chat, je me suis rendu compte que les bruits étaient toujours là. Des craquements, des tapotements et pleins d’autres sons que mon cerveau avait interprétés comme résultant de la vie nocturne du chat. »
Première constatation, j’ai passé des années à accuser mon chat à tort…
Deuxième constatation, si ce n’est pas lui qui marche dans mon appartement qui est-ce ?
Le cerveau n’aime pas le vide, il a besoin de trouver une explication à toute chose. Il est donc allé dans sa bibliothèque, rempli par les savoirs et expériences accumulés au fil des ans et a cherché à mettre une étiquette sur les sons que j’entendais : son cheminement de pensée a été à peu près celui-ci :
« Le chat fait encore des siennes. Ah, c’est vrai qu’il n’est plus là… Il y a quelqu’un dans ton appartement… Ce n’est pas possible la porte est fermée à clé. Il y a un animal qui marche dans les combles (l’appartement était au dernier étage). Non, le son est trop fort. Il y a un fantôme dans ton appartement. » À ce niveau, tous les films et histoires traitants des fantômes, en général peu épanouissants ,que j’ai pu rencontrer dans ma vie me sont revenus à l’esprit. Mon cerveau a commencé à paniquer jusqu’au moment où il s’est accroché à une idée, très pragmatique à mon sens : « quel que soit ce qui provoque ces bruits, cela était déjà là quand tu croyais que c’était le chat. »
En bref, cette nuit, MA réalité a été perturbée, ce qui m’a déstabilisée, bien que LA réalité soit restée la même.
Intervention de l’inconscient dans la perception de notre réalité :
Au début de l’exposé, je vous ai parlé des différents choix de classement que le cerveau avait face à une information. Un peu plus haut, je vous ai aussi montré comment deux états émotionnels pouvaient entraîner, chez plusieurs personnes, deux interprétations différentes d’un même fait. Je vous propose le même exercice, deux classements différents en fonction de deux états émotionnels différents, mais chez une même personne.
Notre cerveau peut, classer différemment une même information en fonction du contexte dans lequel il se trouve. Par exemple, lorsque l’on s’ennuie, une sensation de faim arrive plus rapidement à la conscience que lorsque nous sommes occupés par une activité qui demande toute notre attention. Il arrive aussi qu’une sensation de faim consciente soit oubliée, c’est-à-dire devienne inconsciente, si notre attention est détournée de cette perception.
Encore plus fort, notre cerveau peut « changer », c’est-à-dire interpréter différemment, une information pour qu’elle s’accorde mieux avec ses envies. L’anecdote qui va illustrer ce propos m’est arrivée un matin où je n’avais pas du tout envie d’aller au travail.
« Un matin, je traverse la rue pour prendre le bus et aller au travail. Comme tous les matins, je regarde si le bus arrive. S’il est proche, je peux peut-être, en courant, avoir une chance d’arriver à l’arrêt avant lui.
Ce jour-là, il n’y a pas de bus en vue, il n’est pas proche (je n’aurai donc pas à courir) et il n’est pas non plus au bout de la rue (auquel cas j’aurais eu une bonne dizaine de minutes pour arriver avant lui à l’arrêt). Le feu étant au vert pour les piétons, j’avance tranquillement, j’ai le temps. Arrivée de l’autre côté de la rue, le feu est passé au vert pour les voitures. Je ne m’en fais pas, le bus n’est toujours pas en vue. J’ai vérifié.
À peine cette réflexion faite, le bus qu’il me faut prendre passe à côté de moi, ne s’arrête pas à mon arrêt (ou personne n’attendait) et s’éloigne tranquillement. «
Dans l’espace d’une minute, j’ai regardé 2 voire 3 fois si le bus était en approche. À chaque fois, mon cerveau m’a transmis l’information qu’il n’y était pas. Pourtant, à chaque fois, objectivement, il devait y être. Et il se peut même qu’il ait été arrêté juste devant le passage piéton…
Pour ma part, je reste intimement persuadé que le bus a dû se matérialiser, par magie, entre le moment où mon pied est passé du passage piéton au trottoir. Comment penser autrement alors qu’il n’était effectivement pas là dix secondes avant son entrée dans ma réalité ?
4. Conclusion
Le cerveau est l’outil qui nous sert à appréhender le monde. Il se base sur les informations sensorielles que lui transmets le corps et sur le savoir accumulé au fil des ans via les expériences, pour construire une réalité, c’est-à-dire donner une forme, un sens, à ce qui nous entoure et nous arrive. C’est à travers cette réalité que nous allons interpréter notre environnement et interagir avec lui.
Ainsi, plus le savoir à la disposition du cerveau est important, c’est-à-dire plus le nombre d’expériences vécues est important, plus le cerveau pourra créer une réalité riche et complexe. C’est en cela qu’à mon sens, le Ramain nous permet d’augmenter notre réalité et ainsi nos champs d’actions.
Merci beaucoup pour votre attention! »
Aurélie FRESEL
17 novembre 2018
Pour la journée d'étude d'ASRI
« Réalité et image de soi »
Je serais ravie de lire vos impressions et observations. Je vous laisse déposer un commentaire pour savoir si, à votre avis, il est judicieux de laisser ce texte ou si, trop différent, je ferais mieux de le garder pour une autre occasion.
Aurélie